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Souleymane Cissé : Une légende du 7è art africain, nous a quittés

Le cinéaste malien, Souleymane Cissé, s’est éteint à l’âge de 84 ans/ AFP



Le monde du cinéma africain est en deuil. Souleymane Cissé, réalisateur malien emblématique et l’un des pionniers du septième art sur le continent, est décédé le mercredi 19 février à Bamako, à l’âge de 84 ans. Sa fille, Mariam Cissé, a partagé la triste nouvelle avec l’Agence France-Presse, exprimant son choc et sa peine : « Papa est décédé aujourd’hui à Bamako. Nous sommes sous le choc. Toute sa vie, il l’a consacrée à son pays, au cinéma et à l’art. »



Souleymane Cissé a marqué l’histoire du cinéma en remportant en 1987 le Prix du jury au Festival de Cannes pour son chef-d’œuvre Yeelen. Ce film, qui retrace le parcours initiatique d’un jeune homme issu d’une illustre lignée bambara, a fait de lui le premier réalisateur d’Afrique subsaharienne à recevoir une distinction sur la Croisette. Yeelen a été primé ex-aequo avec Shinran ou la Voix immaculée, du réalisateur japonais Rentaro Mikuni. Dans son discours de remerciement, Cissé avait déclaré : « Je suis très ému. Je suis venu à ce festival pas pour gagner des prix mais pour une ouverture plus large. Pour que le cinéma soit universel. Ce prix n’est, je pense, pas pour moi mais surtout pour ceux qui m’ont aidé de l’autre côté et qui n’ont pas le droit de parler. Merci ! »



Le critique de cinéma Jean-Michel Frodon a souligné l’importance de Yeelen, le qualifiant de film essentiel qui offre aux spectateurs, même ceux peu familiers avec les cultures africaines, une perspective unique sur les relations humaines et la nature. Souleymane Cissé a laissé une empreinte indélébile au Festival de Cannes, comme en témoigne le réalisateur tchadien Mahamat Saleh Haroun : « J’en garde aujourd’hui une image iconique : Souleymane Cissé dans son grand boubou blanc, reconnaissable parmi des centaines de milliers de personnes. »



Un parcours cinématographique engagé


Cissé était un ardent défenseur du cinéma africain. Tout au long de sa carrière, il a plaidé pour la création de salles de projection au Mali, afin de donner une plateforme aux jeunes cinéastes africains. Formé en Union soviétique dans les années 1960, il a d’abord appris le métier de projectionniste avant de devenir directeur de la photographie. À son retour au Mali en 1970, il a travaillé comme reporter au service cinéma du ministère de l’Information, parcourant le pays avec sa caméra.



Son premier long métrage, Den Muso (1975), qui aborde le drame d’une jeune fille-mère muette et abandonnée, a été interdit au Mali et lui a valu un séjour en prison. Malgré cette épreuve, il a poursuivi sa carrière avec Baara (1978) et Finyè (1982), deux films qui lui ont valu l’Étalon de Yennenga, le prestigieux prix du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Dans une interview, Cissé a exprimé son désir de « rechercher une culture qui ressemble à mon peuple, à mon pays, le Mali », soulignant l’importance de l’expression cinématographique pour faire découvrir une culture souvent ignorée.


Un héritage cinématographique


Souleymane Cissé a toujours été un réalisateur engagé, utilisant sa colère et sa révolte pour aborder des problématiques sociales cruciales dans ses films. Ses œuvres, notamment Den Muso, Baara et Finyè, mettent en lumière des enjeux tels que l’oppression des femmes, les conditions de travail des ouvriers et la répression des mouvements étudiants. Jean-Michel Frodon a noté que Cissé a cherché à restituer à l’Afrique son humanité et à l’aider dans son émancipation du passé colonial. Le producteur tunisien Mohammed Challouf, qui a collaboré avec lui, a insisté sur la nécessité de restaurer et de numériser son patrimoine cinématographique pour les nouvelles générations.



Alors que l’esprit engagé du cinéma africain semble s’estomper, l’œuvre de Souleymane Cissé demeure une source d’inspiration et de réconfort. Il est décédé dans une clinique de Bamako, alors qu’il devait présider le jury « fiction long métrage » lors de la 29e édition du Fespaco, prévue à partir du 22 février à Ouagadougou, au Burkina Faso. En 2023, il avait reçu le Carrosse d’Or à Cannes, une distinction honorant sa contribution exceptionnelle au cinéma mondial.



Dans un discours poignant lors de la remise de cette récompense, Souleymane Cissé avait déclaré : « Le cinéma aura été ma vie. Pour cela, je remercie le cinéma. » Son héritage perdurera, inspirant les générations futures à poursuivre son combat pour un cinéma africain authentique et engagé.

Thom Biakpa

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