Libula

Anne-Marie Essy Raggi

La grande Amazone de la marche des femmes sur Grand-Bassam

Elle a marqué de son empreinte la lutte pour l’émancipation du peuple ivoirien à l’époque de la colonisation. Grande dame de cœur, d’amour, de foi et surtout de courage à toute épreuve, Anne Marie Colle Thomas Essy Raggi, est indéniablement l’une des plus grandes figures féminines africaines de la lutte anti-coloniale.

Née le 8 octobre 1918, à Lauzoua, une île près de Grand-Lahou au sud de la Côte d’Ivoire, Anne-Marie Raggi, fut l’une des femmes leaders à l’origine d’un acte historique et fondateur de la lutte pour l’indépendance de la Côte d’Ivoire en 1949. Il s’agit de la marche des femmes sur la ville de Grand-Bassam, pour exiger la libération des responsables politiques ivoiriens emprisonnés par les autorités coloniales françaises sans aucune forme de procès.

Retour sur une insurrection historique

La longue marche est partie d’Abidjan jusqu’à la ville de Grand-Bassam, ancienne capitale de la Côte d’Ivoire durant l’époque coloniale entre 1893 et 1900, où se trouvaient les principaux tribunaux du pays, ainsi que l’une de ses prisons les plus connues. L’action visait à dénoncer l’arrestation et l’emprisonnement sans procès depuis le 6 février 1949, des dirigeants politiques du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), l’une des fédérations des partis politiques africains anticoloniaux.

Le 22 décembre, les femmes quittent Abidjan à pied, pour un trajet de 40 km vers Grand-Bassam, organisées en petits groupes pour échapper à la surveillance de l’administration coloniale française. Le 24 décembre, alors qu’elles étaient déjà proches de leur destination finale, elles ont été stoppées, attaquées au gaz lacrymogène et battues par des soldats français.

Mais il en fallait plus pour freiner la détermination de Anne-Marie Raggi et d’autres combattantes comme l’intrépide Marie Koré, Odette Ekra, Lorougnon Zikaï…pour ne citer que ces symboles ivoiriens de la lutte anti-coloniale. Leur résilience finit par triompher puisque les 500 femmes mobilisées pour l’occasion, vont réussir à faire reculer les colons. Résultat, les militants emprisonnés ont été jugés, libérés ou ont vu leurs peines réduites. Une victoire qui, jusqu’à ce jour, continue d’être une source d’inspiration de politiques qui n’hésitent pas à s’en référer.

Son emprisonnement en 1963

L’un des chapitres douloureux de la lutte de Anne-Marie Raggi, fut son emprisonnement en 1963 pour présomption de complot contre Houphouët Boigny, avec tous les héros de la lutte anti-coloniale, notamment Jean-Baptiste Mockey, Germain Coffi Gadeau, Jérôme Batafoué Alloh, René Séry Koré et Albert Paraïso, anciens pensionnaires de la prison de Grand-Bassam.

Le professeur Samba Diarra, dans un hommage à Anne-Marie Raggi, a révélé que c’est dans sa geôle de Yamoussoukro, qu’elle a appris le décès de son époux en France, dans le dénuement le plus complet, après l’expulsion de ce dernier de la Côte d’Ivoire, pour complicité de complot contre Houphouët Boigny. Et pourtant, Louis Raggi, l’époux de Anne-Marie Raggi, fut un riche homme d’affaires qui a financé le PDCI-RDA. Ainsi, Anne-Marie a-t-elle bu jusqu’à la lie le calice de la honte et de l’opprobre.

Par ailleurs, à en croire, le professeur Samba Diarra, en Janvier 1965, Anne-Marie faisait partie des absous amenés au Boxing-Club de Treichville, à Abidjan, pour attester avoir comploté contre Houphouët-Boigny contre leur gré. Figuraient parmi ces absous, témoins à charge, en particulier, Jérôme Alloh, Koffi Gadeau et Séry Koré, qui, toute honte bue, avaient avoué avoir comploté. Seule Anne-Marie a refusé de boire la ciguë du déshonneur et de l’indignité.

Elle déclare sans ambages qu’il n’y a jamais eu de complot. A la grande stupéfaction et à l’indicible frayeur de ses compagnons absous. Quelle leçon de courage et de vérité. Il faut alors attendre plus de six ans après, le 9 Mai 1971 pour que Houphouët Boigny se résolve à avouer aux pensionnaires d’Assabou : « Tous les complots pour lesquels vous avez été jetés en prison ne sont qu’une invention du sinistre Commissaire de Police, Pierre Goba, policier véreux et ambitieux, qui a voulu ainsi obtenir un poste important. Il m’a trompé. Je vous demande pardon. Le mal qui a été fait ne pourra jamais être totalement réparé …», raconte le Professeur Samba Diarra.

Fervente croyante catholique, nourrie au berceau des valeurs de liberté, d’égalité, de justice et de fraternité, toujours généreuse, compatissante, ouverte et serviable, Anne-Marie Raggi a tout pardonné, voire tout oublié des incohérences du PDCI-RDA, et est demeurée une militante de conviction de ce parti jusqu’à la fin de ses jours. Honneur à la grande amazone de la marche sur la prison civile de Grand-Bassam, et au parangon de la lutte de libération. Anne-Marie Raggi a tiré sa révérence le 19 octobre 2004 à Abidjan, à l’âge de 86 ans.
Thom Biakpa

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