Disparition de Chéri Chérin : Le Congo perd une figure majeure de la peinture contemporaine
L’artiste Chéri Chérin est décédé à l’âge de 70 ans en RDC. /Capture Facebook
Le monde de l’art contemporain africain est en deuil. Le peintre congolais Chéri Chérin, l’un des pionniers de « l’école de peinture populaire » en République démocratique du Congo (RDC), s’est éteint à l’âge de 70 ans, le dimanche 19 octobre 2025. Figure emblématique de la scène artistique kinoise, il laisse derrière lui une œuvre riche, engagée et profondément ancrée dans le quotidien de ses compatriotes.
Né en 1955 à Léopoldville aujourd’hui Kinshasa, Chéri Chérin, de son vrai nom Joseph Kinkonda, se destinait initialement à une carrière religieuse. Envoyé au séminaire de Katende, dans le centre-ouest du pays, son talent pour le dessin est rapidement remarqué par un prêtre, qui l’oriente vers l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa. Il y poursuit une formation en céramique, tout en exerçant parallèlement comme peintre d’affiches publicitaires pour des commerces de la capitale.
C’est dans les années 1970 qu’émerge le courant de la peinture populaire congolaise, initiée par Chéri Samba, et auquel Chéri Chérin s’associe rapidement. Avec d’autres artistes majeurs comme Moké, Bodo ou encore Chéri Benga, il développe un style distinctif mêlant réalisme figuratif, caricature, humour et critique sociale. Fidèle à l’esprit du mouvement, il revendique un art accessible à tous, enraciné dans la réalité congolaise.
Chéri Chérin se distingue par sa capacité à capturer les scènes de la vie quotidienne tout en y injectant une réflexion politique et sociale aiguë. Ses tableaux sont autant de chroniques picturales de la société congolaise, où se mêlent satire du pouvoir, dénonciation de la corruption, mais aussi hommage à la culture populaire. Parmi ses œuvres les plus célèbres, on retrouve Kin la Belle, vibrant hommage à la ville de Kinshasa, Pourquoi ça ne tourne pas rond dans l’atelier, métaphore puissante des dysfonctionnements de la société congolaise, ou encore la série Un sapeur sachant saper, inspirée du mouvement de la SAPE (Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes), qu’il incarne lui-même en véritable éternel sapeur, aux côtés du chanteur Papa Wemba.
Artiste engagé, Chéri Chérin n’a jamais hésité à aborder les grands enjeux de son époque : la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud, les conflits internationaux, les dérives du pouvoir ou encore les menaces environnementales. Cette posture critique lui a valu, comme à d’autres artistes du mouvement, d’être placé sous surveillance durant la dictature de Mobutu Sese Seko.
Au fil des années, l’œuvre de Chéri Chérin a largement dépassé les frontières de la RDC. Il a exposé en Belgique, au Portugal, et a participé à de nombreuses expositions collectives à l’international. Son travail a notamment été mis à l’honneur lors de la grande exposition Beauté Congo – Congo Kitoko à la Fondation Cartier, à Paris. En 2025, une rétrospective célébrant ses 50 ans de carrière a été organisée à Washington DC, aux États-Unis.
Avec la disparition de Chéri Chérin, le Congo perd non seulement un artiste de grand talent, mais aussi un témoin de son temps, un conteur en images de la société congolaise et un militant infatigable de l’art populaire. Son héritage pictural, engagé et profondément humain, continuera de résonner longtemps encore dans le paysage artistique africain et au-delà.
Thom Biakpa

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