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Fela Kuti,  retour sur la carrière exceptionnelle du père de l’afrobeat, trop tôt parti

Fela Kuti en prestation/ photo wikipédia

Olufela Olusegun Oludotun Ransome-Kuti, dit Fela Kuti, également connu sous le nom de Fela Anikulapo Kuti, ou simplement Fela, est né le 15 octobre 1938 à Abeokuta et est mort, le 2 août 1997 à Lagos. Ce chanteur, saxophoniste, chef d’orchestre, cryptarque et homme politique nigérian, a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire de la musique africaine

Si Fela Kuti est compté parmi les légendes de la musique africaine, c’est bien en raison de son statut d’artiste engagé, mais aussi et surtout, parce qu’il a créé un style musical: l’afrobeat. Celui-là même qui a écrit et composé chacune des lignes des instruments qui composent ses titres, y met toute son âme, d’une manière personnelle et unique

Fela Kuti voit le jour en 1938 au Nigeria, et très vite, son père, pasteur, l’initie au piano. Sa mère est institutrice et figure de la lutte contre le colonialisme. La vie de l’artiste est déjà en germe. En 1958, alors qu’il n’a que 20 ans, Fela Kuti s’envole poursuivre ses études à Londres ; mais contrairement aux envies de ses parents qui rêvaient de le voir, comme ses frères, poursuivre des études de médecine, il va étudier la musique au Trinity College of Music. Sa carrière commence en pleine vague highlife qui cartonne en Angleterre. Fela Kuti fonde son premier groupe, Koola Lobitos, avec des amis. Ensemble, ils surfent sur la tendance, et s’inspirent de Miles Davis et de Charlie Parker.

En 1963, il rentre diplômé au Nigéria puis au Ghana. C’est là qu’en 1967 il crée l’afrobeat, une combinaison de highlife ghanéen, de funk, de jazz, de salsa, de calypso et de musique traditionnelle yoruba, son ethnie d’origine. Il commence par écrire ses textes en yoruba, puis en pidgin, un mélange d’anglais et de langue régionale, qui permet à tous les Africains de comprendre sa musique.

Mais face au déferlement de la soul made in Ghana, Fela Kuti peine à s’imposer. Il part donc en tournée sans moyen, porté par le système D, aux Etats-Unis en 1968. En 10 mois, Fela Kuti s’imprègne de la culture noire américaine, de ses sons mais aussi de son effervescence politique. Après sa rencontre avec les Black Panthers et de retour au Nigéria en 1970, le jeune Fela est transformé pour toujours, il a pris conscience qu’il était Africain.

Agitateur engagé

Après cette prise de conscience politique, Fela Kuti affiche des revendications pour plus de justice et d’égalité. Son groupe, qui s’appelle désormais Africa 70, défend une musique qui devient une arme puissante contre le pouvoir en place. Alors que les bidonvilles se multiplient et que les dirigeants corrompus se partagent les bénéfices du pétrole, Fela Kuti s’impose comme l’un des porte-voix pour la défense des plus pauvres et le partage des richesses.

Fela Kuti emménage avec sa famille et son équipe à Kalakuta Republic. Depuis cette maison, il déclare l’indépendance de sa République face à l’État Nigérian et la junte militaire. Il y délimite la frontière de sa société alternative où l’on retrouve toutes ses équipes, un hôpital gratuit et des exclus de la société nigériane, en posant des fils barbelés et des clôtures électriques. Les concerts de ce bastion dissident deviennent de véritables tribunes politiques, l’impressionnante orchestration est ponctuée de discours enflammés qui font sa popularité malgré la censure étatique.

Le Black President, produit et enregistre tout en live. Cette façon de produire de la musique en live vient de son rapport avec son public, de la dimension de trans, de l’histoire qu’il partage et raconte dans chaque morceau.

Zombie, sorti en 1977, est sûrement son morceau le plus engagé. Lorsqu’il le joue, pour la première fois en concert, c’est une déflagration : les zombies, ce sont les militaires nigérians tournés en ridicule d’être autant asservis au pouvoir. Cette chanson est celle de trop pour le pouvoir moqué : Fela Kuti est l’homme à abattre et sa propriété est entièrement rasée dans un raid militaire.

Le phénomène Fela

Harcelé, Fela Kuti doit s’exiler au Ghana, mais le morceau enflamme aussi ce nouveau pays qui se révolte dans le feu et le sang. Il est un résistant visionnaire, arrêté à de multiples reprises. En 1979, alors que le Nigéria voit le retour d’un gouvernement civil, il crée son parti politique MOP (Movement of the People) pour se présenter aux élections de 1983. Il est pourtant de nouveau et continuellement sous pression tout au long des années 1980. Cet esprit de combat et de résistance a porté beaucoup d’artistes de sa génération et des générations suivantes. Ses fils notamment Femi et Made Kuti, irriguent aujourd’hui la scène musicale africaine.

Pendant toute la décennie 1980, Fela Kuti est très controversé : adulé comme le Che Guevara par certains, décrié par d’autres qui le prennent pour un tyran voire un dictateur en raison de ses relations avec de nombreuses femmes. En Italie, la CIA planque 40 kilos de marijuana dans ses valises. La seule terre d’accueil possible est la France avec la protection bienfaisante de Jean-François Bizot, chantre de la sono-mondiale et propriété de Radio Nova qui va massivement le diffuser en pleine ère Mitterrandienne. Fela Kuti trouve une vraie résonance avec son temps et fascine la presse française qui est la première à parler du « phénomène Fela ».

Fatigué par la torture, les séjours en prison et affaibli par le Sida, Fela Kuti ralentit sa production musicale dans les années 1990. Il enregistre tout de même quelques albums et se produit dans son club. L’album Underground System est le dernier qui sort de son vivant. Après un dernier séjour en prison en 1997, sa voix s’éteint. Malgré les tensions entre les gouvernements militaires successifs et l’artiste, les autorités militaires reconnaissent avoir perdu « l’un des hommes les plus valeureux de l’histoire du pays » et décrètent quatre jours de deuil national. Le jour de son inhumation, près d’un million de Nigérian sortent dans les rues célébrer sa mémoire.

Thom Biakpa

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