Sortie du Livre – “Les Portes” L’écrivain Armand Gauz sonne la révolte contre “ les discours hypocrites de l’occident sur l’immigration”
L’écrivain ivoirien Armand Gauz . Photo: Librairie Caractère
“Les Portes”, tel est l’intitulé du dernier ouvrage de l’écrivain ivoirien, Armand Patrick Gbaka-Brédé, plus connu sous le nom de plume de Armand Gauz. L’œuvre de 192 pages a été dédicacée, ce samedi 13 juillet 2024, à la bibliothèque municipale de Grand-Bassam, dans la banlieue sud d’Abidjan. Elle traite de l’épineuse question de l’immigration, mais sous un angle complètement aux antipodes de celui abordé par l’occident.
“Les Portes”, selon Armand Gauz son auteur, s’insurge contre les barrières conçues par les pays occidentaux pour empêcher une catégorie d’immigrants d’entrer sur leurs sols. Pour lui, l’occident tient tout simplement un discours hypocrite sur cette question, dans la mesure où, les ambassades des pays européens présentes dans les pays africains, délivrent chaque jour, des visas de différents types aux Africains pour leur permettre de se rendre en Europe, mais dans le même temps, ces mêmes Européens, installent des barrières (des portes), pour empêcher ceux qui, certainement par manque de moyen, tentent de regagner le même continent par d’autres voies jugées non conformes.
“ J’ai choisi d’intituler cet ouvrage “Les Portes”, parce que j’estime que les Européens ont installé des portes pour d’une certaine manière, filtrer, décider de ceux qui ont le droit d’entrer dans leurs pays et ceux qui n’en ont pas le droit. C’est pourquoi j’ai mis “Les portes”. C’est cette notion que j’interroge, pourquoi on décide cela ? Pourquoi met-on la porte là, plutôt que là-bas ? Il y a toute une symbolique”, explique-t-il.
Selon Armand Gauz, les Occidentaux en érigeant des portes pour empêcher certains africains d’entrer dans leurs pays, s’attaquent à l’essence même de l’être humain. Un être fait pour bouger d’un point à un autre. Il soutient que les peuples se sont constitués par le processus de la migration. De fait, tenter d’arrêter l’immigration, est pour lui, complètement insensé. “ Les gens voudraient que les peuples arrêtent de bouger et que les choses soient définitivement figées, mais ce n’est pas possible. L’immigration, ce n’est pas un péché, c’est quelque chose de naturelle. On est légitime à vouloir interroger des frontières et des horizons. Aujourd’hui, quand tu viens du sud vers le nord, c’est quelque d’illégale, mais quand eux viennent de l’occident pour s’installer en Afrique, c’est normal. Nous voulons voyager aussi, nous voulons aussi aller découvrir ce qui se passe ailleurs. Alors, que les occidentaux arrêtent leurs discours d’hypocrites. Ce sont des discours qu’il faut abolir et on n’est pas obligés de les écouter, ce sont eux-mêmes qui nous donnent les visas pour qu’on aille chez eux. Tous ceux qui sont en Europe n’y sont pas allés en passant par le Sahara ou par la mer. 99% des immigrés arrivent en Europe avec des visas réguliers, pourquoi on se focalise alors sur le 1% qui utilise d’autres voies. Il faut donc arrêter de parler de l’immigration comme un problème, car elle ne va pas s’arrêter maintenant et d’ailleurs, elle ne s’arrêtera jamais, même s’ils ne veulent pas. Tout mène à des portes qui conduisent à des portes qui dirigent vers des portes qui s’ouvrent sur des portes qui guident à des portes… tout ! C’est cela qui fait de nous une espèce en migration perpétuelle”, a pesté l’auteur de l’œuvre intitulée “Les Portes”, également connu pour ses prises de position engagées.
Enseignant de philosophie, Maitre de Conférence à l’université Félix Houphouët Boigny de Cocody et écrivain, Josué Guébo a eu l’honneur de mener un travail scientifique sur cette œuvre. A l’en croire, le roman “ Les Portes” de Alain Gauz, dans une séquence spéciale, s’est inspiré de l’histoire qui a vu l’installation et l’évacuation des sans-papiers en 1996 dans une église catholique parisienne dénommée Saint-Bernard.
Cette année là, deux cents cinquante (250) “Sans papiers” majoritairement musulmans avaient investi l’église pour protester contre la maltraitance dont ils étaient victimes par le ministère de l’intérieur français. Pendant plus de cinq mois, ces personnes dirigées par la sénégalaise Madjiguène Cissé, décédée récemment, ont protesté pour réclamer plus de respect dans leur traitement. Mais elles ont fini par être délogées manu-militari par le ministère de l’intérieur et déplacées vers d’autres lieux. Cette situation on se souvient, avait fait beaucoup de vagues en 1996 en France.
“ Gauz vient romancer cette histoire qui est symptomatique des rapports difficiles qu’il y a entre les immigrés et l’hexagone qui est une terre d’accueil”, a indiqué Josué Guébo.
Ce roman selon lui, est écrit dans un français assez fluide, avec des mots simples, mais aussi avec énormément de jeux de mot. “ La particularité de cette œuvre, réside dans son caractère polysémique. Il y a plusieurs narrateurs. Gauz raconte l’histoire vécue dans le regard du migrant qu’il est. Cependant, il l’a raconte également sous l’angle du regard du prêtre qui les accueille et qui voit déferler vers lui des noirs, un public qu’il n’a pas l’habitude de voir. La capacité de ce livre, c’est de pouvoir présenter les choses de deux points de vue: le point de vue de celui qui est l’immigré et du point de vue de celui qui est l’accueillant. La grande leçon à tirer de cette œuvre, c’est que nous sommes finalement tous des migrants, la terre n’appartient à personne de manière définitive. Les hommes ne sont pas des arbres, ils sont en mutation, en mouvement et donc il n’y a pas lieu de considérer qu’il y a une race qui est pure et qu’une terre appartient de manière indéfinie à un peuple. C’est pourquoi l’Homme est un “ Homo-viator”, un éternel itinérant poussé à quitter son sol natal pour aller toujours plus loin », a-t-il décrypté.
Armand Gauz est l’auteur de près de dix œuvres. Il est aussi scénariste, photographe et lauréat de nombreux prix dont le Grand prix littéraire d’Afrique noire remporté en 2019.
Diplômé en biochimie, Gauz a produit des photos, des documentaires, des émissions culturelles, des articles économiques satiriques en Côte d’Ivoire. Depuis le succès de son 1er roman, Debout Payé, finaliste du Booker Prize international, il se retire de plus en plus souvent à Bassam, première capitale coloniale du pays, où il vit au sein d’un village d’artisans.
Thom Biakpa
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